Où l’on apprend que Uk'Not'Allag' se réveille de son long sommeil… La
Tour de Brâkmar était plongée dans un profond silence. Seule l’ouïe
exercée d’un Ouginak aurait pu déceler un chuintement, comparable au
sifflement léger qu’auraient émis une paire de poumons ayant appartenus
à un fumeur de Fourbasse asthmatique. C’était bien le bruit d’une
respiration qui provenait des étages supérieurs de la Tour. Là haut,
l’une des nombreuses salles abritait une âme d’une telle noirceur que
l’obscurité était devenue presque palpable dans tout l’édifice. Un
léger râle. Un mouvement. Une silhouette massive et le bruit des
chaînes qu’on a remué. Soudain, deux lueurs rouges ont percé
l’obscurité, suivis d’un grognement rauque : le démon Uk’Not’Allag’
s’était réveillé !
- Toujours ce cauchemar ! » se dit-il à
lui-même. « J’ai rêvé que j’étais gras. J’avais le hoquet, et le goût
du sang de Bouftou revenait sans cesse dans ma gorge. Je n’avais même
pas du bicarbonate de stout pour mon mal de ventre. Et des chaînes
pendaient à mes poignets… J’étais prisonnier. Du fond de ma geôle,
j’entendais le bruit des vagues… »
Émergeant d’un sommeil
qui avait duré de longues semaines, Uk’Not’Allag’ avait baillé
largement, découvrant des canines si entartrées qu’elles auraient
provoqué la mue d’une légion de brosses à dent. Il avait ensuite tourné
la tête à plusieurs reprises, faisant craquer ses vertèbres au passage,
puis s’était gratté le ventre en grognant, et de longs poils filandreux
étaient restés emberlificotés dans ses ongles griffus. Il avait ouvert
grand les yeux.
Dans ses paumes, une touffe de poils épais et sales.
Dans sa gorge, une haleine à faire défaillir un Pandawa. Autour de son
nombril, une peau tendue comme celle d’un tambour de guerre. Autant de
détails qui sortirent complètement Uk’Not’Allag’ de sa torpeur : ce
n’était pas un cauchemar, c’était la réalité.
Publié le : 21/07/2006